De l'ancienne à la nouvelle OTAN 1949-2002

"De l'ancienne à la nouvelle OTAN 1949-2002", Jean-Sylvestre Mongrenier, "L'Art de la Guerre" (avril-mai 2003)

« L’Alliance n’a pas besoin d’ un ennemi pour résister »
Manfred Wörner, ancien secrétaire général de l’OTAN (1988-1994)
Née en 1949 de la guerre froide, l’Alliance atlantique s’inscrit dans un contexte géopolitique bipolaire. Face au bloc soviétique, Nord-Américains et Européens de l’Ouest préparent la guerre pour qu’elle n’advienne pas. Pour ce faire, ils mettent sur pied un système militaire intégré, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Durant quatre décennies, l’OTAN et le Pacte de Varsovie en restent au stade de l’observation armée. Au sortir de l’affrontement Est-Ouest, d’aucuns annoncent la disparition programmée de l’OTAN. Même antienne suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001. Organisé à Prague en novembre 2002, le dernier sommet atlantique semble plutôt ouvrir un nouveau cycle dans l’histoire de l’OTAN. Conçue pour assurer la défense collective des signataires de l’Alliance atlantique, l’OTAN s’est progressivement transformée, de manière à assurer des missions de sécurité collective dans l’Europe de l’après-guerre froide. Aujourd’hui, elle est en passe d’être globalisée et « réoutillée ». Nouveaux enjeux : la lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.
En 1945, l’effondrement de l’Allemagne à l’Ouest et du Japon à l’Est crée en Eurasie un vide de puissance propice à l’expansionnisme soviétique. Les Etats-Unis sont dès lors confrontés à une situation géopolitique théorisée, à l’aube du XX° siècle, par le Britannique Halford MacKinder : l’affrontement entre le maître de la Mer (les Etats-Unis) et le maître de la Terre (l’URSS) pour le contrôle de la masse continentale eurasiatique (le heartland) et, au-delà, la lutte pour l’hégémonie mondiale. Conformément aux prescriptions d’un autre géopolitologue, l’Américain Nicholas Spykman, les Etats-Unis doivent débarquer sur le rimland – les territoires qui, de la Scandinavie à la Corée, ceinturent le heartland – pour interdire à l’URSS l’accès à l’ « Océan mondial ».
Face à l’emprise soviétique sur l’Europe centrale et pour contrer les pressions de Moscou sur la Grèce, les détroits turcs et le nord de l’Iran, le président des Etats-Unis expose devant le Congrès sa politique de containment (12 mars 1947). Harry Truman renonce donc à l’isolationnisme de Georges Washington et des founding fathers. Suite aux premières crises de la guerre froide (coup de Prague, blocus de Berlin) et avec le soutien du Congrès, les destinées de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord sont liées par la signature du traité de l’ Atlantique Nord, le 4 avril 1949. Il est vrai que cette alliance n’est guère contraignante, l’article cinq excluant toute automaticité dans l’assistance militaire, mais avec la guerre de Corée et la crainte d’une attaque surprise en Europe, elle est dotée d’une organisation militaire intégrée : l’OTAN.
La structure politique de l’Alliance atlantique – le Conseil de l’Atlantique Nord et ses émanations – est complétée par une structure militaire déployée aux niveaux stratégique, opératif et tactique (63 états-majors et quartiers généraux au total). Au sommet de cette structure, trois commandements suprêmes : le SACEUR ou Commandement allié en Europe (Mons/Belgique) ; le SACLANT ou Commandement allié de l’Atlantique (Norfolk/Etats-Unis); le CINCHAN ou Commandement allié de la Manche (Northwood/Royaume-Uni). Les deux premiers commandements reviennent à des officiers américains et le troisième à un Britannique. Pour contrebalancer le puissant dispositif conventionnel de l’URSS, la posture stratégique de l’OTAN est fondée sur l’arsenal nucléaire américain. Dans le cadre de la stratégie New Look adoptée par l’administration Eisenhower, le document NSC 162/2 stipule que « la dissuasion principale d’une agression contre l’Europe de l’Ouest tient dans la détermination manifeste des Etats-Unis d’employer ses forces atomiques et sa puissance de frappe massive de représailles en cas d’attaque dans la région » (30 octobre 1953). Le territoire américain étant alors hors de portée des coups soviétiques, cette stratégie rassure les Européens. C’est l’ « âge d’or » des représailles massives.
Dès 1949, les Soviétiques mettent fin au monopole nucléaire des Etats-Unis mais ils ne disposent pas encore de vecteurs intercontinentaux. Stratégiquement invulnérable, l’Amérique demeure la World Island. C’est le « bip-bip » du Spoutnik, le 4 octobre 1957, qui révèle au monde la nouvelle puissance des lanceurs soviétiques. Moscou et Washington ont désormais les moyens de se détruire réciproquement et la stratégie des représailles massives est caduque. Dès 1960, le président du Comité des chefs d’états-majors des forces américaines, le général Maxwell Taylor, formule le concept de « riposte graduée ». Face à l’éventuel déferlement des chars soviétiques, « il faudra d’abord avoir recours aux forces classiques tout en conservant la possibilité de se servir d’armes atomiques tactiques dans les cas, relativement rares, où leur emploi correspondrait à notre intérêt national ». Les forces classiques de l’OTAN sont donc renforcées et déployées « le nez sur le rideau de fer » (stratégie de l’avant). Les Alliés adoptent la stratégie de riposte graduée en 1967, après que la France soit sortie de l’OTAN. Pourtant, le débat sur la validité de la garantie nucléaire américaine sera récurrent jusqu’à la chute du mur de Berlin. On se souvient notamment des controverses occasionnées par la « bataille des euromissiles » (1977-1983).
Avec la fin du conflit Est-Ouest, le continent européen entre dans une phase de recomposition géopolitique. L’histoire et la théorie politique veulent qu’une alliance victorieuse se désintègre. Contre toute attente, le lien de défense euro-atlantique survit mais c’est une « nouvelle OTAN » que le sommet de Washington, en avril 1999, porte sur les fonts baptismaux.
Dès la dissolution du système communiste européen, les Etats-Unis travaillent à la pérennité de l’OTAN. Secrétaire d’Etat de l’administration Bush père, James Baker lance en 1989 le concept d’une « communauté euro-atlantique » couvrant l’espace Vancouver-Vladivostok, communauté au centre de laquelle l’OTAN élargirait ses missions, tout en repoussant ses frontières orientales. C’est le début d’une « course vers l’Est ». Lors du sommet de Londres, en juillet 1990, l’OTAN offre son amitié aux pays d’Europe centrale et orientale (les PECO) et débat d’ éventuelles interventions militaires extérieures à la zone d’application du pacte atlantique. A Rome, l’année suivante, pour coiffer l’ensemble des relations Est-Ouest, l’OTAN fonde le Conseil de Coopération Nord-Atlantique (COCONA). En 1994, le sommet de Bruxelles lance le Partenariat pour la Paix (PpP). Cet accord constitue le cadre d’une coopération à la carte entre l’OTAN et les PECO, Russie comprise. Simple étape avant l’adhésion pure et simple des Etats d’Europe centrale. La signature de l’Acte fondateur Russie-OTAN et la mise en place d’un Conseil conjoint permanent (mai 1997) permettent de lever le « veto » de Moscou. En mars 1999, la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie rejoignent l’Alliance atlantique et son organisation intégrée.
L’OTAN survit donc aux conditions qui historiquement l’ont fait naître, mais si le nom, les emblèmes et le quartier général demeurent les mêmes, c’est une nouvelle organisation qui peu à peu prend forme. Lorsqu’en avril 1999 se réunit à Washington le « sommet du cinquantenaire », l’OTAN est refondée sur d’autres principes et d’autres buts que ceux posés entre 1947 et 1950. Avec l’assentiment de leurs alliés, les Etats-Unis ont de fait transformé cette alliance militaire en un système de sécurité collective. La différence n’est pas mince. Une alliance est dirigée contre un ennemi désigné – l’URSS en 1949 – ses membres partageant des enjeux de sécurité. Autrement plus ambitieux, un système de sécurité collective est dirigé contre la guerre elle-même. Il énonce des normes de conduite, garantit ses membres et associés contre toute agression et, en cas de contentieux, mécanismes de négociation et d’arbitrage sont censés prévaloir.
Au-delà de la défense collective de ses membres, l’OTAN s’est donc engagée dans les missions dites « non-article cinq ». Il s’agit de gérer et résorber, en lieu et place de l’ OSCE et de l’ONU, les crises pouvant survenir entre les Etats de l’Ancien Monde et d’assurer des missions de maintien et/ou d’imposition de la paix. C’est ainsi qu’en février 1994, deux F-16 américains abattent quatre Mig serbes et mènent la première action de guerre de l’OTAN. L’année suivante, elle déploie en Bosnie l’Implementation Force (IFOR) puis, quatre ans plus tard, s’engage au Kosovo (guerre contre la Serbie et déploiement de la Kosovo Force/KFOR). Le sommet de Washington entérine les mutations en cours. Tout en rappelant la mission de défense collective de l’OTAN, le Concept stratégique de 1999 insiste sur sa fonction de stabilisateur politique dans l’espace euro-atlantique.
L’élargissement géographique et fonctionnel de l’OTAN s’accompagne d’un profond remaniement du dispositif stratégique. L’objectif n’est plus de faire face à un adversaire global et clairement identifié comme tel mais de couvrir des risques multiples et diffus. La structure de commandement est donc allégée, le nombre des états-majors et quartiers généraux passant de 65 à 20. En 1994 est adopté le concept des Groupes de Forces Interarmées Multinationales (GFIM). L’objectif est de pouvoir projeter sur un théâtre d’opérations plus ou moins éloigné un état-major et des forces armées. Plus flexible, cette nouvelle structure militaire permettrait par ailleurs de donner corps à l’ « identité européenne de sécurité et de défense » timidement affirmée depuis le traité de Maastricht. L’Union européenne pourrait utiliser ce mode opératoire pour mener des opérations de maintien de la paix dans son environnement. Notons que cette emprise de l’OTAN sur l’ « Europe de la défense » s’accompagne d’un spectaculaire resserrement du dispositif militaire américain en Europe. Le désengagement conventionnel est amorcé avec la guerre du Golfe. Les Etats-Unis puisent alors abondamment dans les contingents de GI mis à disposition de l’OTAN et nombre d’entre eux ne reviendront pas. Les effectifs américains sont ainsi divisés par trois : 330 000 GI en 1989, 111 000 dix ans plus tard (dont 35 000 en Bosnie et au Kosovo).
En 1999, l’intervention de l’OTAN au Kosovo met en évidence le fossé technologique et militaire qui sépare l’hyperpuissance américaine de ses alliés européens. Ces derniers parviennent à un fragile consensus sur l’ « Europe de la défense » (Conseil européen d’Helsinki, décembre 1999). Outre-Atlantique, on dénonce une atteinte à l’OTAN. Lorsqu’à l’automne 2001, les Etats-Unis conduisent « en solo » leur guerre d’Afghanistan, c’est au tour des Européens de craindre pour l’avenir de l’OTAN.
La réaction de l’OTAN aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 ne tarde pourtant pas. Le lendemain même, le Conseil de l’Atlantique Nord invoque l’article 5 du traité de Washington. Un certain nombre de mesures suivent : cinq AWACS de l’OTAN sont expédiés aux Etats-Unis et la « Force navale permanente » est déployée en Méditerranée orientale. Si les Etats-Unis enregistrent avec satisfaction le soutien diplomatique des Alliés, ils ne recourent cependant pas à l’OTAN pour mener leur guerre au terrorisme. Le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, résume leur philosophie : « C’est la mission qui définit la coalition et non la coalition qui définit la mission ». Washington traite donc en bilatéral avec les membres de l’OTAN et font leur shopping. Les contraintes inhérentes à l’Alliance atlantique – négociations multilatérales et prise de décision à l’unanimité – sont rejetées. La conduite de la guerre du Kosovo a laissé des traces et il se murmure que l’OTAN est une organisation en déclin dont on ne sait que faire. Trois « écoles de pensée » ont cours à Washington. Première école : l’OTAN est obsolète et sa disparition est inéluctable à moyen terme. Deuxième école : Appelée à s’élargir, l’OTAN deviendrait un club politique plus qu’une alliance militaire (une « super OSCE ») . Troisième école : l’OTAN doit être « réoutillée » et globalisée (« hors zone »), afin de lutter contre le terrorisme et la prolifération des Armes de Destruction Massive (ADM). Les décisions prises lors du sommet atlantique de Prague (novembre 2002) permettent aujourd’hui d’y voir plus clair.
Le sommet de Prague des 21 et 22 novembre a déjoué les pronostics les plus pessimistes. La reconfiguration de l’Alliance atlantique est en cours et passe d’abord par « un élargissement robuste (...) de la mer Baltique à l’Adriatique et à la mer Noire » ainsi que l’a stipulé le président des Etats-Unis lors de sa tournée européenne de juin 2001. Les trois Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), la Slovaquie, la Slovénie ainsi que la Roumanie et la Bulgarie sont invités à rejoindre la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie, précédemment admises en 1999. Ces PECO devraient être membres de l’OTAN d’ici mai 2004. La déclaration du sommet de Prague stipule que l’OTAN restera ouverte aux « démocratie européennes désireuses et capables d’assumer les responsabilités et les obligations liées au statut de membre ». L’Albanie, la Croatie et la Macédoine sont concernées au premier chef. Depuis le mois de mai, Moscou est par ailleurs plus étroitement associée à la zone euro-atlantique par le truchement du Conseil OTAN-Russie, chargé d’intensifier la coopération en matière de gestion des crises, de guerre au terrorisme et contre-prolifération.
Cet élargissement géographique est aussi fonctionnel. En juin 2002, le secrétaire à la défense des Etats-Unis, Donald Rumsfeld, a proposé de faire de la lutte contre le terrorisme et la prolifération des ADM de nouvelles missions de l’Alliance atlantique. La chose a été entérinée à Prague ainsi que le stipule la déclaration finale : « L’OTAN doit pouvoir aligner des forces capables de se déployer rapidement partout où elles sont nécessaires (...), de mener des opérations à longue distance et dans la durée » et les Alliés ont décidé « d’entériner le concept militaire agréé de défense contre le terrorisme ». En clair, l’OTAN est désormais globalisée et se voit attribuée ces nouvelles missions.
Cette refondation politique exige un « reconditionnement » de la structure militaire. La structure des forces est axée sur la mobilité et la réactivité: à partir des six corps d’armée (High Readiness Forces) certifiés par l’OTAN sera constituée d’ici 2006 une Force de Réaction de l’OTAN (FRO) Composée de 20 000 hommes disponibles en permanence, cette formation d’élite sera susceptible d’intervenir en 3 à 5 jours « partout où il le faudra ». La FRO devrait donc se voir affecter les meilleures des unités européennes, ce qui contrarie l’objectif européen posé à Helsinki : constituer une Force européenne de réaction rapide (FERR) à l’horizon 2003. Les uns et les autres ont bien sûr précisé que la FERR et la FRO étaient complémentaires mais dans les faits, il y a bien concurrence. La structure de commandement est à nouveau allégée: la plupart des états-majors territoriaux (tactiques) sont appelés à disparaître et le concept des GFIM sera mis en œuvre à partir des commandements régionaux de Brunssum (Afnorth/Pays-Bas) et de Naples (Afsouth/Italie), sous l’autorité du SACEUR. Basé à Norfolk (Etats-Unis), le second commandement stratégique (SACLANT) n’a plus en charge la stratégie opérationnelle.
A rebours des thèses sur l’inévitable découplage des deux rives de l’Atlantique, le sommet de Prague démontre donc la valeur que les Etats-Unis confèrent à l’OTAN. Leur présence militaire en Europe permet de projeter force et puissance en Asie et au Moyen-Orient. Elle contribue aussi à garantir l’accès aux « économies et sociétés ouvertes » de l’Ancien Monde et les marchés d’armement alliés ne sont pas le moindre des enjeux. Enfin, l’implantation de radars sur des territoires européens (Grande-Bretagne et Danemark) est essentielle au déploiement du futur bouclier spatial américain (le Missile Defense). On comprend donc que la Stratégie de Sécurité Nationale publiée en septembre 2002 par le Pentagone consacre une page entière à l’OTAN.
Pour certains observateurs, le renforcement de l’atlantisme militaire est l’expression stratégique d’un empire néo-occidental associant étroitement Européens et Nord-Américains. Ancien conseiller à la sécurité, Zbigniew Brzezinski n’hésite pas à parler d’une organisation de défense de l’ « homme blanc ». On doit pourtant s’interroger sur la place des Européens dans ce dispositif stratégique et géopolitique. L’ « Europe de la défense » passe aujourd’hui par l’OTAN, ce qui confère aux Etats-Unis ainsi qu’à tous les Alliés n’appartenant pas à l’Union européenne un droit de regard sur sa mise en œuvre. On sait que la Turquie notamment use de cette contrainte pour faire pression sur Bruxelles et obtenir la reconnaissance d’ un « pré carré géostratégique » en Europe du Sud-Est et Méditerranée orientale.
« L’OTAN est morte, vive l’OTAN », est-on tenté de s’écrier. La pérennité de l’atlantisme et les métamorphoses de ses structures découlent de trois facteurs majeurs : la volonté des Etats-Unis de demeurer ancrés dans l’Ancien Monde ; la volonté des Etats d’Europe centrale et orientale de contracter une « assurance » auprès de l’hegemon nord- américain; l’absence de volonté de la plupart des gouvernements et opinions publiques d’Europe occidentale de remettre en cause le leadership nord-américain.
Les Européens peuvent ensuite critiquer l’unilatéralisme de Washington ; il n’en reste pas moins que leurs projets politiques sont dispersés et leurs finances obérées par le financement des Welfare States. Tout est affaire de crédits budgétaires, de capacités militaires et, in fine, de volonté de puissance. Le monde n’est pas un « Eden kantien » et c’est en osant la puissance que l’on pèse sur la définition des grands équilibres planétaires.
Professeur agrégé d’histoire et de géographie, Jean-Sylvestre Mongrenier est chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Paris VIII).
Encadré 1 : La signature du traité de Washington (4 avril 1949)
L’histoire officielle a longtemps voulu que les Européens de l’Ouest, après avoir signé le traité de Bruxelles du 17 mars 1948 (fondation de l’Union Occidentale), aient collectivement négocié avec les Etats-Unis la future Alliance atlantique. Il faut pourtant préciser que les modalités de cette alliance ont été préalablement fixées entre Anglo-Saxons. Le 1er avril 1948, les négociations entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada débouchent sur la signature d’un document final, le Pentagon Paper, qui préfigure le traité de l’Atlantique Nord. Jugée peu fiable, la France n’avait pas été conviée à ces pourparlers secrets, pas plus que la Belgique et les Pays-Bas, également membres de l’Union Occidentale. Les signataires du traité de l’Atlantique Nord sont la Belgique, le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la France, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. La Grèce et la Turquie ont rejoint l’Alliance atlantique en 1952, la République fédérale allemande en 1955 et l’Espagne en 1981. En 1999, c’est au tour de la Pologne, de la Hongrie et de la Tchéquie. Lors du sommet de Prague (novembre 2002), les adhésions des Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), de la Slovaquie, de la Slovénie ainsi que celles de la Roumanie et la Bulgarie ont été programmées pour 2004.
Encadré 2 : Chronologie
  • 4 avril 1949 : signature à Washington du traité de l’Atlantique nord.
  • 19 décembre 1950 : le général Eisenhower devient le premier commandant suprême des forces de l’Alliance en Europe (SACEUR).
  • 20 septembre 1951 : signature à Ottawa de la convention sur le statut de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).
  • 12 janvier 1954 : le secrétaire d’Etat Foster Dulles expose la doctrine des « représailles massives ».
  • 17 septembre 1958 : Mémorandum du général de Gaulle, adressé au président Eisenhower et préconisant la mise en place d’un directoire tripartite (Etats-Unis, Royaume-Uni, France) à la tête de l’Alliance atlantique. Refus des Etats-Unis et des Alliés.
  • 6 mars 1959 : retrait de la flotte française de Méditerranée du commandement de l’OTAN.
  • 4 mai 1962 : le secrétaire à la Défense MacNamara expose la doctrine de « riposte graduée ».
  • 7 mars 1966 : le général de Gaulle annonce au président Johnson que la France se retire officiellement de l’OTAN tout en restant membre de l’Alliance atlantique. Les sièges de l’Alliance atlantique et de l’OTAN seront transférés en Belgique.
  • 12 décembre 1979 : « double décision » de l’OTAN, en riposte à l’installation des SS 20 soviétiques (négociation avec l’URSS du retrait de ces missiles ou installation de Pershing II et de missiles de croisière). C’est le début de la « batailles des euromissiles ».
  • 27 novembre 1983 : début du déploiement des euromissiles américains.
  • 8 décembre 1987 : Mikhail Gorbatchev et Ronald Reagan concluent un accord de démantèlement de toutes les forces nucléaires intermédiaires, d’une portée de 500 à 5500 kilomètres.
  • 9 novembre 1989 : chute du mur de Berlin.
  • 12 décembre 1989 : le secrétaire d’Etat James Baker propose « un nouvel atlantisme » et le renforcement des liens entre les Etats-Unis et la Communauté européenne.
  • 2 juillet 1990 : réuni en sommet à Londres, le Conseil atlantique lance le réexamen de la stratégie atlantique.
  • 19 novembre 1990 : les Etats membres de l’Alliance atlantique et du pacte de Varsovie « constatent qu’ils ne sont plus des ennemis (...) s’offrent mutuellement leur amitié » et adoptent la Charte de Paris pour une nouvelle Europe.
  • 27 février 1991 et 1er juillet 1991: dissolution des structures militaires et civiles du pacte de Varsovie.
  • 7-8 novembre : réuni à Rome, le Conseil atlantique lance le Conseil de Coopération Nord Atlantique (COCONA).
  • 10-11 janvier 1994 : réuni à Bruxelles, le Conseil atlantique élabore de concept de Groupe de Forces Interarmées Multinationales (GFIM) et propose aux ancien membres du pacte de Varsovie un Partenariat pour la Paix (PpP).
  • 28 février 1994 : partis de la base italienne d’Aviano, 2 F-16 de l’OTAN abattent 4 Mig serbes. C’est le premier acte de guerre de l’OTAN.
  • Novembre 1994 : frappes de l’OTAN sur le dispositif militaire bosno-serbes.
  • Novembre/décembre 1995 : réunis à Dayton (Ohio/Etats-Unis), Serbes, Croates et Musulmans bosniaques signent un accord sur la Bosnie. L’OTAN met sur pied l’Implementation Force (IFOR) pour en faire respecter la teneur.
  • 1996 : la Stabilisation Force (SFOR) prend le relais de l’IFOR en Bosnie.
  • 27 mai 1997 : signature de l’Acte fondateur Russie-OTAN.
  • 8 juillet 1997 : réuni à Madrid, le Conseil atlantique invite la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie à rejoindre l’OTAN. Adhésion effective le 12 mars 1999.
  • 24 mars 1999 : début des frappes de l’OTAN sur la Yougoslavie (opération « Force alliée »).
  • 23-25 avril 1999 : sommet du « cinquantenaire » à Washington. Adoption d’un nouveau concept stratégique axé sur la gestion de crises et la stabilisation de la « zone euro-atlantique ».
  • 12 septembre 2001 : au lendemain des attaques terroristes contre les Etats-Unis, le Conseil atlantique active pour la première fois l’article 5 du traité de Washington (« Les Parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe et en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties ... »).
  • 21-22 novembre 2002 : réuni à Prague, le Conseil atlantique invite sept Etats d’Europe centrale et orientale à rejoindre l’OTAN en mars 2004. La déclaration finale insiste sur lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. La mise sur pied d’une force de réaction de l’OTAN (FRO) de 20 000 est prévue pour 2006. Les premiers éléments devraient être actifs dès 2004. Cette formation d’élite sera susceptible d’intervenir en 3 à 5 jours « partout où il le faudra. »
Encadré 3 : Les réseaux stay behind de l’OTAN
En 1976, un rapport du Sénat des Etats-Unis mentionne l’existence de réseaux dits stay behind dans les pays de l’OTAN, pour faire face à une éventuelle occupation soviétique de l’Europe occidentale. L’affaire rebondit en 1990 lorsque le gouvernement italien dissout officiellement le réseau « Gladio ». On apprend alors l’existence de réseaux d’action similaires sur les territoires des voisins et partenaires de l’Italie. Les services secrets britanniques (le MI6) auraient commencé à déployer cette organisation occulte en Belgique au début des années cinquante. Très vite, elle est étendue aux pays du Bénélux, à la France et à l’Italie puis en Grèce et en Turquie. Gravitant dans l’orbite du SACEUR, un « Comité clandestin allié » supervise l’ensemble de l’entreprise et des dépôts d’armes secrets sont constitués dans les années soixante. Les membres de ces réseaux sont entraînés dans un cadre multinational, le plus souvent sous la houlette d’agents britanniques. Officiellement, ces réseaux se seraient peu à peu étiolés mais on sait que des exercices ont été organisés jusqu’en 1991. Pour prendre la juste mesure de la neutralité helvétique dans l’affrontement Est-Ouest, notons que des « combattants de l’arrière » y ont été également implantés. La commission d’enquête suisse a révélé leur participation à divers exercices au cours des années soixante-dix (exercices d’évacuation du gouvernement helvétique en cas d’invasion soviétique notamment).
Encadré 4 : L’ « Europe de la défense »
Les 10 et 11 décembre 1999, le Conseil européen d’Helsinki a créé des organes politico-militaires (Comité politique et de sécurité, Comité militaire et état-major de l’Union européenne) ensuite incorporés dans le traité de Nice du 26 février 2001. Sur le plan militaire, l’objectif est de mettre sur pied à l’horizon 2003 une Force européenne de réaction rapide (FERR) d’ici 2003. Elle devrait comprendre 60 000 hommes, déployables en 60 jours, capables de tenir un théâtre d’opérations pendant un an. Un objectif aujourd’hui concurrencé par la Force de Réaction de l’OTAN annoncée à Prague. d’une Force européenne de réaction rapide (FERR) d’ici 2003. L’Union européenne n’ayant pas d’état-major de niveau stratégique en propre, deux solutions ont été retenues. L’utilisation d’une chaîne de commandement OTAN ou la mise à disposition d’un état-major national « multinationalisable » par un des Etats membres (principe de la « nation cadre »). Les opérations menées ont été définies en 1992 par la déclaration de Petersberg : maintien et imposition de la paix, extraction de ressortissants et opérations humanitaires. La défense collective reste une compétence atlantique. En raison des lacunes militaires européenne – insuffisance des budgets et des capacités - l’OTAN demeure incontournable pour toute opération de quelque envergure, même en ayant recours au principe de la « nation-cadre ». L’Europe de la défense n’est pas la défense de l’Europe !
Encadré 5 : La France et l’OTAN
En septembre 1958, le général De Gaulle propose au président Eisenhower la formation d’un directoire tripartite Etats-Unis/Royaume-Uni/France à la tête de l’Alliance atlantique. Il reprend à son compte une ancienne revendication posés dix ans plus tôt par Georges Bidault, alors ministre des Affaires étrangères de la IVème République. Refus de la part des Etats-Unis comme de l’ensemble des Alliés. Dans les années qui suivent, la Vème République prend donc ses distances avec l’OTAN et le 7 mars 1966, De Gaulle annonce la sortie de l’organisation militaire. La France reste membre de l’Alliance atlantique et divers accords planifient la participation française à la riposte contre une éventuelle attaque soviétique (accords Ailleret-Lemnitzer en 1967 et Valentin-Ferber en 1974). L’après-Guerre froide et les opérations de maintien de paix en Europe du Sud-Est ont paradoxalement amené la France à un aggiornamento. Le 5 décembre 1995, son ministre des Affaires étrangères fait savoir qu’elle envisage de réintégrer l’OTAN, pour peu qu’elle soit réformée. La négociation achoppe sur la question du commandement régional de Naples (Afsouth), traditionnellement dévolu à un général américain, que Paris aurait voulu « européaniser » . En 1997, la cohabitation met fin au processus et à cette heure, la France est au milieu du gué. Alors qu’ en l’état actuel des choses l’ « Europe de la défense » passe nécessairement par l’OTAN, cette position se révèle difficile à tenir pour un Etat se voulant le fer de lance de la défense européenne.
Encadré 6 : le nouveau SACEUR
Ancien patron du corps des Marines, le général américain James Jones a été intronisé, en janvier 2003, Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR). Il assume également les fonctions de patron des forces américaines en Europe - l’état-major de l’EUCOM est localisé à Stuttgart, en Allemagne – et participera donc aux éventuelles opérations contre l’Irak. Dans les colonnes du Washington Post, le 18 décembre 2002, le général James Jones et le chef d’état-major de l’US Army, le général Eric Shinkesi, ont cosigné un appel mettant en garde les responsables politiques américains contres les risques d’un engagement armé en Irak, en l’état actuel de la planification des opérations. Depuis, le dispositif américain a été considérablement renforcé.
Bibliographie indicative:
  • Revue de l’OTAN (sur le site web de l’OTAN).
  • Service d’information de l’OTAN, Manuel de l’OTAN.
  • Vaïsse Maurice, Mélandri Pierre et Bozo Frédéric (Dir.), La France et l’OTAN.
  • ZARKA Jean-Claude, L’OTAN, QSJ n° 865, PUF, 1997.
  • Zorgbibe Charles, Histoire de l’OTAN, Editions Complexe, 2002.
Source : "L'Art de la Guerre" (avril-mai 2003)