Le partenariat euro-méditerranéen et la politique commerciale de l'Union Européenne

"Le partenariat euro-méditerranéen et la politique commerciale de l'Union Européenne", Pascal Lamy, extraits de son intervention à la Convention régionale sur le partenariat euro-méditerranéen, Jordanie, 10 février 2002.

Pascal Lamy (Jordanie, février 2002)
Oserais-je dire ici, que la politique commerciale de l'UE repose sur un ensemble d'accords et de processus à la complexité toute byzantine : d'abord l'échelon multilatéral et multisectoriel dans le cadre du GATT hier, et de l'OMC aujourd'hui ; ensuite les accords bilatéraux soit centrés sur des domaines spécifiques comme l'acier, l'aéronautique ou le textile, soit globaux comme les accords de libre échange que l'UE a signés avec des pays comme le Mexique ou l'Afrique du Sud.
Enfin, les relations régionales que l'UE entretient avec des groupes de pays avec lesquels elle souhaite développer une relation particulière : c'est le cas du Mercosur, des pays d'Afrique - Caraïbes et Pacifique, ou de l'espace euroméditerranéen.
La Méditerranée occupe une place à part dans cette stratégie pour des raisons géopolitiques et économiques évidentes. C'est pour cette raison que le processus de Barcelone lancé il y a maintenant dix ans repose sur une architecture originale et spécifique :
Un ensemble de liens privilégiés, formalisés dans les accords d'association conclus bilatéralement par l'UE avec chaque pays de la rive du sud et destiné à irriguer un organisme dont on cherche par ailleurs à renforcer sans cesse l'unité et la cohérence.
Je ne m'attarderai ici que sur le volet commercial de ce processus, dont vous savez comme moi qu'il ne représente qu'un aspect de notre démarche, l'idée étant de laisser s'épanouir aussi les dimensions politique et culturelle des relations entre les deux rives de la Méditerranée.
Quel bilan peut-on tirer de ces premières années d'organisation de notre relation commerciale ?
Sur le papier, le résultat n'est pas mauvais. Des accords d'association ont été signés avec tous les pays, à l'exception de la Syrie où je viens de me rendre pour évaluer les chances d'une accélération du processus.
Sur le terrain, la situation est moins éblouissante. Les échanges commerciaux ont certes progressé, mais moins qu'espéré, et surtout le commerce sud-sud reste extrêmement faible (5% des flux totaux). Il est vrai que les économies sont souvent plus concurrentes que complémentaires. C'est toutefois la logique implicite de notre politique que d'encourager les spécialisations pour le plus grand bénéfice mutuel. Par ailleurs, comment ne pas se désoler de la faiblesse et même du recul de l'investissement européen dans la zone : La Méditerranée ne représentait déjà que 2 % de nos investissements externes en 1991 et seulement 1 % aujourd'hui !
Le retournement de cette tendance est crucial compte tenu de l'étroitesse de chaque marché domestique qui n'assure pas aux investissements les perspectives de retour nécessaire à leur essor.
Que faut-il faire ?
Trois types d'actions doivent être engagés en parallèle :

d'abord, exploiter à fond les potentialités des accords d'association. L'abaissement des barrières douanières n'est qu'un des volets de cet accord. C'est sur tout le reste, ce que nous appelons la "deep integration", que nous devons concentrer nos efforts. Avec ses moyens financiers et surtout son expertise, l'Europe peut aider les pays méditerranéens à s'attaquer aux défis de la bonne gouvernance que sont par exemple des procédures douanières légères et rapides, un droit des sociétés stable et transparent, des outils performants de mise aux normes et standards internationaux, ou des instruments de recours juridique fiables en cas de différends dans la vie des affaires ;
ensuite, donner un coup d'accélérateur à la dimension régionale de nos accords ; une première réunion des ministres du commerce de la zone s'est tenue à notre initiative à Bruxelles l'an dernier. Elle a débouché sur deux recommandations concrètes : d'abord discuter en commun des moyens d'intensifier les échanges de services au sein de la zone ; ensuite mettre au point un régime commun de règles d'origine qui permette de stimuler les échanges de marchandises. Sur le premier point, un groupe de travail a été constitué. Il a déjà permis de clarifier les attentes, qu'il s'agisse de l'assistance à la mise à niveau des législations ou de la volonté d'examiner les enjeux de l'ouverture de secteurs particuliers comme le tourisme ou les télécoms. Sur les règles d'origine, les experts de tous les pays de la zone ont travaillé d'arrache-pied pour définir un accord que nous officialiserons, je l'espère, à la ministérielle de Tolede en mars prochain.

Cet accord généralise le régime du cumul diagonal tout en préservant la capacité des Etats qui le souhaitent d'adopter, sur une base bilatérale ou régionale, un régime encore plus favorable. C'est un saut qualitatif majeur que nous devons maintenant prolonger. Je pense que l'un des défis auxquels nous devons nous attaquer, est celui de la facilitation des échanges. Si nous pouvons faire bouger les choses sur ce plan, alors je crois vraiment que nous aurons créé ensemble le cadre dont les opérateurs économiques ont besoin pour démultiplier échanges et investissements au sein de la zone ;

le troisième chantier est celui de l'intégration sud-sud ; la rive sud de la Méditerranée a historiquement été un espace d'échanges intenses et de contact. C'est cette tradition qu'il faut faire vivre aujourd'hui pour accroître la stabilité de la zone. Stabilité politique, bien-sûr, mais aussi stabilité économique car ramener le processus euromed à une seule logique verticale de relations avec l'Europe ne serait pas dans l'intérêt des pays méditerranéens. Cela les rendrait exagérément vulnérables aux aléas conjoncturels de l'économie européenne.

Voilà notre feuille de route. Vous voyez qu'elle est dense. La visite que je viens d'effectuer en Syrie, en Jordanie et au Liban me rend toutefois optimiste. Je sais que la route est semée d'embûches et les contraintes politiques ne sont pas les moindres. J'ai pourtant décelé chez tous mes interlocuteurs une volonté d'aller de l'avant sur le terrain du commerce et de l'économie. Ce colloque est une bonne occasion pour approfondir la réflexion sur les moyens d'aller de l'avant.
Je vous souhaite bon courage pour la poursuite de vos travaux.