Les enjeux du partenariat euro-méditerranéen

"Les enjeux du partenariat euro-méditerranéen", Philippe Latriche (DREE).

Les enjeux du partenariat euro-méditerranéen
Philippe Latriche
L'environnement politique régional, qu'il s'agisse du conflit israélo-palestinien ou des relations délicates qu'entretiennent les pays du Maghreb, affecte indéniablement le partenariat euro-méditerranéen. Pourtant, cet environnement difficile justifie d'autant la poursuite et le renforcement du partenariat. Si cet environnement politique obère la pleine réalisation du volet économique et commercial, il demeure néanmoins indispensable d'œuvrer à court terme à la consolidation du partenariat dans ce domaine, et ce afin de contribuer ensemble à l'émergence économique, nécessaire à brève échéance, de la rive sud du bassin méditerranéen.
Un rendez-vous à ne pas manquer avec les 20 prochaines années
Une fracture méditerranéenne qui perdure, un risque de décrochage qui demeure inquiétant
Le pari du partenariat euro-méditerranéen
Six ans après Barcelone, des progrès notables sur le volet économique et commercial
La croissance, véritable curseur du partenariat
Pour une association approfondie
Vers un espace économique régional
Pour une pleine participation de la société civile
(1) "Afin de promouvoir une meilleure concertation et d'encourager de façon plus concrète la mise en œuvre des réformes dans les pays partenaires et de faire du Partenariat euro-méditerranéen l'instrument privilégié, encore plus efficace et crédible, de la mise à niveau des économies, les Ministres sont convenus d'un renforcement du dialogue sur le volet économique et commercial du Partenariat"


La participation de la société civile au dialogue euro-méditerranéen demeure insuffisante. Si les enceintes de rencontres existent, l'architecture du partenariat devra permettre aux différents messages d'être portés au niveau décisionnel. A l'exemple du FEMISE (Forum euro-méditerranéen des Instituts économiques) dont les travaux enrichissent le dialogue mis en place depuis la Conférence de Marseille, il conviendra notamment que les travaux du forum d'hommes d'affaires (UNICE/UNIMED) puissent alimenter la réflexion des Ministres du Commerce. L'Union européenne et les pays méditerranéens devront mieux travailler ensemble à l'instauration d'un véritable marché intérieur qui réunira bientôt près de 40 pays (Etats membres, Pecos et pays méditerranéens), et plus de 600 millions d'hommes. Dans cette optique, un saut qualitatif de la relation d'association est nécessaire au cours de la décennie à venir, pour en faire un véritable modèle de développement régional, catalyseur du développement économique des pays méditerranéens et de leur meilleure insertion dans les échanges internationaux.
Le partenariat euro-méditerranéen ne saurait par ailleurs se résumer à une simple juxtaposition d'accords d'association " nord-sud ", tendance qui pourrait être largement contre-productive. La réduction de la fracture que constitue encore aujourd'hui la mer Méditerranée et l'émergence d'une zone de prospérité partagée dépendront en grande partie de notre capacité à créer un véritable espace économique régional. L'ouverture Nord-Sud programmée devra ainsi être complétée par une intégration Sud-Sud concomitante. Il en va de la nécessaire rationalisation de l'espace productif régional, de la cohérence de son cadre institutionnel, de sa perception par la communauté internationale, et donc de son attractivité, notamment auprès des investisseurs. La création d'un véritable marché intérieur permettra aux opérateurs économiques de poursuivre enfin une véritable stratégie régionale en Méditerranée. L'intégration régionale signifie concrètement la facilitation des échanges entre les 27 partenaires, par un abaissement des tarifs douaniers certes, mais aussi par la mise en place d'infrastructures transversales, par une convergence vers un cadre réglementaire commun - à cet égard, le cumul régional des règles d'origine jouerait pleinement son rôle d'outil au service de l'intégration régionale - , par des efforts éducatifs communs (reconnaissance des diplômes, échanges universitaires..), par une véritable gestion en commun de l'espace méditerranéen.

S'il incombe aux partenaires de la rive sud de lancer leurs économies sur la voie des réformes et de l'ouverture, l'Union doit pour sa part assurer la pleine application de la relation d'association proposée à Barcelone et accompagner pleinement les efforts des pays méditerranéens. L'appropriation des objectifs du partenariat vaut pour les deux rives de la Méditerranée. L'association ne pourra ainsi se résumer au simple libre échange industriel, et devra être appliquée pleinement, telle qu'elle est prévue dans les textes. Ainsi, la libéralisation progressive et réciproque des échanges agricoles devra véritablement s'enclencher. Il en va de l'intérêt à court terme de l'Union et des pays méditerranéens, et de la crédibilité du partenariat. Par ailleurs, le développement des échanges de services devra compléter ce dispositif. Il représente indéniablement un potentiel de croissance et de rattrapage à défricher.L'accompagnement financier communautaire, dont la gestion s'améliore, devra poursuivre son indispensable recentrage autour de points d'application prioritaires, communément définis, et mieux assurer l'assistance technique au bénéfice des pays méditerranéens. Au-delà de la question des ressources financières, il conviendra également que l'Union oriente vers la Méditerranée les ressources humaines nécessaires si elle souhaite pouvoir assurer l'approfondissement de cette association.

La signature d'un accord d'association ne constitue pas cependant une fin en soi. L'association doit bien être conçue comme un outil, visant à soutenir les objectifs précédemment exposés, d'une part en stimulant la modernisation des Etats par des réformes structurelles, à commencer par les réformes fiscales pour compenser la baisse des recettes douanières, et d'autre part en dynamisant l'offre productive par l'introduction de la concurrence au sein des systèmes productifs. Les pays méditerranéens ont aujourd'hui besoin d'une meilleure compétitivité, et c'est à l'aune de cette compétitivité améliorée et de cette croissance renforcée que l'on devra juger le partenariat. Cette voie des réformes sera aussi la voie d'une meilleure intégration dans les échanges régionaux et internationaux.

A ce jour, le travail accompli depuis Barcelone est conséquent, au regard de la masse critique d'accords d'association conclus entre l'Union européenne et la quasi totalité des pays méditerranéens. Par ailleurs, un peu plus d'un an après la Conférence de Marseille, le renforcement du dialogue économique et commercial souhaité(1) a indéniablement progressé (rencontres des 27 Ministres et Directeurs en charge du commerce, création et travaux des groupes sur les règles d'origine et les services, réunions de dialogue économique). Ces premières rencontres furent l'occasion d'un véritable échange sur les différents sujets abordés, au cours duquel chaque partie est intervenue de manière constructive, par delà le contexte politique délicat. Chacun a reconnu la nécessité de cette concertation à 27 sur une base véritablement partenariale qui traduise dans les faits notre statut "d'associés ", et permette de nourrir un véritable débat sur les moyens aptes à augmenter la compétitivité globale de la région au travers d'un ancrage économique équilibré des pays méditerranéens. La prochaine réunion des Ministres du Commerce, le 19 mars à Tolède, permettra de poursuivre dans le sens d'un renforcement de ce dialogue.

Le scénario idéal du partenariat consisterait à parvenir à enclencher une dynamique vertueuse comparable à celle observée dans les Peco les plus avancés : l'ouverture commerciale appelle des réformes institutionnelles d'accompagnement pour renforcer le dynamisme du tissu productif local et, de facto, la compétitivité du pays ; ces évolutions commerciale et institutionnelle renforcent l'attractivité de la zone pour les investissements ; cet ensemble de facteurs concourt à la compétitivité de l'économie et in fine à la croissance.

En effet, les pays méditerranéens connaissent aujourd'hui, pour beaucoup d'entre eux, une croissance faible et heurtée et parviennent peu à attirer les investissements étrangers. L'absence de rattrapage de la plupart des pays méditerranéens demeure préoccupante. Elle est à ce stade le reflet d'un manque de compétitivité, qui tient notamment à des niveaux élevés de protection commerciale, à un faible niveau d'éducation qui ne facilite pas le rattrapage technologique et les transferts de connaissance , à de faibles dotations en infrastructures physiques et technologiques qui pèsent sur les coûts de transport et sur la diffusion des savoir-faire, à des politiques de change qui ont pu altérer la compétitivité-prix, à une collecte de l'épargne nationale limitée, à un cadre institutionnel peu évolutif qui pèse sur l'ouverture à la concurrence et la dynamique productive. En effet, si les pays méditerranéens ont entamé un effort de modernisation de leurs sociétés, dont l'indice le plus significatif pourrait être l'avancée de leur transition démographique, ils doivent passer le cap, immédiat, des 20 prochaines années. Aubaine démographique (cette phase est a priori favorable - la croissance de la population potentiellement active est forte, le poids des générations les plus jeunes diminue et le poids des générations âgées ne se fait pas encore trop sentir - et caractéristique d'une situation de pré-émergence), ou risque d'instabilité sociale (il conviendra de créer un nombre d'emplois suffisant pour absorber cette main d'œuvre, mais aussi pour répondre à l'accroissement attendu du taux d'activité des femmes, et réduire les taux de chômage déjà élevés), la période actuelle est tout simplement déterminante. De nombreux efforts, européens comme méditerranéens, sont encore nécessaires pour s'approcher de cet objectif ambitieux de prospérité partagée en Méditerranée défini à Barcelone.